Göppingen Gö 3 Minimoa

par Richard FERRIERE

 

Le nom de Minimoa revêt aujourd'hui pour tous ceux qui s'intéressent à l'histoire du vol à voile un caractère quelque peu magique. Ce planeur, à la silhouette étonnante mais combien harmonieuse, symbolise le vol à voile allemand des années trente. Il fut parmi beaucoup d'autres, l'artisan d'une aventure technique et humaine qui vit les pilotes de planeurs quitter le vol à voile dynamique pour aller explorer les ascendances thermiques, les cumulo-nimbus d'orage et l'onde encore si mystérieuse. Il consacre enfin une mutation profonde du vol à voile qui dépassait sa phase scientifique et expérimentale pour en aborder une autre plus purement sportive.

Le Minimoa c'est aussi l'une des premières réalisations de la jeune firme Göppingen Segelflugzeugbau née en 1935 de l'association de Wolf Hirth et Martin Schempp. Cette société, rebaptisée Schempp-Hirth Segelflugzeugbau après la guerre, est aujourd'hui l'une des plus célèbres et des plus importantes manufacture de planeurs.


Martin Schempp et Wolf Hirth

L'origine du Minimoa remonte au début des années trente, Wolf Hirth qui était alors chef-pilote à l'école de vol à voile de Hornberg chercha à se faire construire un planeur de hautes performances en vue du concours de vol à voile de la Rhön. L'étude et la construction furent entreprises durant l'hiver  1931-1932  par  Hirth,  Wenk  et Schneider. Cet appareil, désigné Grünau 7 Moatzagotl, traduisait un certain nombre de conceptions nouvelles qui faisaient jour à cette époque: il ne s'agissait plus seulement de spiraler serré dans les thermiques afin d'exploiter la partie la plus active de l'ascendance mais il fallait également avoir la possibilité de transiter entre deux ascendances sans perdre trop d'altitude. La finesse et la pénétration à vitesses élevées devenaient primordiales en regard de la faible vitesse de chute et de la maniabilité jusqu'alors recherchées. En conséquence, le Moatzagotl, qui présentait un fuselage très profilé de section ovoïde, se caractérisait surtout par la forme et l'envergure de sa voilure. Les ailes de 20 m d'envergure présentaient un dièdre en M, un bord d'attaque en forte flèche et des ailerons débordants. Dès ses premiers vols, le Grünau 7 s'avéra en tous points conformes aux espoirs de Wolf Hirth. C'est ainsi qu'au concours de la Rhön1933, il réussit le vol le plus long (176km) qui lui rapporta le premier prix ainsi que la prime offerte pour la machine techniquement la plus évoluée. Au concours de 1934, il réussit un vol de 354 km dépassant pour la première fois dans l'histoire du vol à voile la barrière des 300 km.


Grünau 7 Moatzagotl

Pour un planeur aussi extraordinaire que le Grünau 7, il fallait un nom hors du commun et celui de Moatzagotl mérite quelques commentaires tant il reflète la passionnante aventure que vivaient, à cette époque, les vélivoles qui découvraient, souvent au péril de leur vie, les secrets et les pièges de l'atmosphère.  Une vieille légende silésienne raconte qu'un paysan nommé Gottlieb Moatz serait tombé dans la misère pour avoir consacré plus de temps à observer les nuages qu'à cultiver son champ. Ce mystérieux nuage qui l'intriguait tant se formait au-dessus du Hirschberg par vent sud, il présentait la particularité de rester immobile par rapport au sol quelle que soit la vitesse du vent. En mars 1933, Wolf Hirth décolla du terrain de Grünau à bord d'un Baby II en vue d'explorer ce curieux nuage stationnaire baptisé Moatzagotl par les autochtones. Après un remorqué fort agité dans une atmosphère très turbulente, il réussit à dépasser le nuage et à atteindre la zone laminaire dans laquelle l'ascendance atteignait 4 m/s. Les observations de Hirth furent communiquées au Professeur Georgii qui proposa une modélisation théorique basée sur la physique des ondes mécaniques entretenues. Bien que de nombreux aspects du phénomène demeuraient encore obscurs, Hirth et Georgii avaient découvert l'onde de ressaut; le Moatzagotl était ce que nous appelons aujourd'hui le rotor.

Lorsqu'on 1935, Hirth et Schempp s'associèrent dans le cadre de la Göppingen, leur objectif était de concrétiser leurs idées communes sur ce que devait être le planeur de performance moderne. Le premier travail fut de remettre en état le Moatzagotl endommagé lors d'un atterrissage brutal, puis furent développés parallèlement: une version très améliorée du Grünau Baby,  le Gö 1 Wolf, et un biplace école  le Gö 2 puis un planeur de performance dérivé du Moatzagotl et désigné Gö 3 Minimoa (Miniatur-Moatzagotl).

Le prototype du Minimoa immatriculé "D-Göppingen Industrie" fit son premier vol le 24 juillet 1935 lors du concours de la Rhön, il réalisa à cette occasion un vol aller et retour de 35 km.


Sur le prototype du Gö 3, le train d'atterrissage est composé d'un unique patin


Le premier modèle de série qui fut exporté au Japon montre le remplacement du patin par une roue
On note que les aérofreins de type DFS sont disposés au bord de fuite

Le prototype du Gö 3 se présente comme un monoplan cantilever de 17m d'envergure.  Le fuselage est constitué d'une coque en contre-plaqué de section elliptique ; le poste de pilotage est recouvert d'une verrière intégrée à l'emplanture et fixée sur un plastron amovible profilant le dessus du fuselage jusqu'à la pointe avant. Afin de simplifier la transmission des commandes d'ailerons, le manche pend devant le pilote, sa base étant fixée sur l'aile haute. Le train d'atterrissage est composé d'un patin de frêne amorti par une rangée de balles de tennis et entoilé sur ses flancs. La béquille protégeant l'étambot comporte une lame d'acier assistée d'un bloc de caoutchouc. La dérive est réduite à un moignon dont le seul rôle est de supporter les articulations de la profondeur pendulaire et du gouvernail de direction. La transmission des commandes est réalisée au moyen de câbles d'acier passant par des renvois à poulies; la commande de profondeur est compensée par un ressort monté sur la timonerie dont la tension est réglée depuis le poste de pilotage. La voilure est directement dérivée de celle du Moatzagotl. Chaque aile présente un plan central rectangulaire fortement dièdre et un plan extérieur en forte flèche. Les ailerons, comme sur le Grünau 7 et le Gö 1, débordent du bord de fuite ; ils ont une corde constante et ne sont pas encastrés. Le dièdre en M accentué et le bord d'attaque fléché qui confèrent au planeur une forte stabilité en roulis et en lacet ont pour objectif de faciliter la tenue de la machine lors des vols de nuage qui étaient d'une pratique courante à l'époque. En fait cette configuration de la voilure rend fort délicate la conception du longeron en particulier au niveau de la pliure du M qui nécessite une pièce de raccordement fort complexe réalisée en lamellé-collé. Le longeron, les becs de nervure et le coffrage en contre-plaqué du bord d'attaque forment un caisson résistant en flexion et en torsion sur lequel viennent se coller les queues de nervures. Ces dernières sont réunies entre elles par des longeronnets qui, sur les parties extérieures des plans, servent de support aux articulations des ailerons. Les ailes, implantées en position haute sur le fuselage (Schulterdecker) sont assemblées entre elles et sur le fuselage par des ferrures fixées aux extrémités des longerons et des barres de traînée. Le prototype du Gö3 fut suivi de deux modèles de série qui furent exportés au Japon et en Roumanie. Ces appareils se différenciaient du  modèle  initial  par un manche classique et une roue structurale montée derrière le patin.


L'assemblage du deuxième modèle de série destiné à la Roumanie

A partir du mois de juin 1936, une nouvelle version du Minimoa fut produite à Göppingen. Elle se distingue du prototype par un nouveau fuselage et par l'implantation médiane de l'aile. Le fuselage entièrement redessiné présente une silhouette plus moderne, sa longueur et sa hauteur sont augmentées. La position du pilote est inchangée mais, il se trouve à présent abrité sous une verrière fixe et protégé par un pare-brise solidaire d'un plastron en contre-plaqué lui-même articulé sur côté droit du fuselage. Le pare-brise constitue à lui seul une innovation dans la mesure où il est moulé dans un nouveau matériau qu'avait mis au point l'industrie chimique allemande; le plexiglas.


Le poste de pilotage de la version à ailes médianes est protégé par une verrière offrant une grande visibilite
(ce qui était peu courant à l'époque)


Le pare-brise était articulé sur le côté


Cette vue montre la position du pilote dans le Minimoa

Les empennages sont également modifiés: le gouvernail de direction est considérablement agrandi afin de contrer l'hyperstabilité de l'aile et d'améliorer la maniabilité en lacet. La profondeur pendulaire héritée du Moatzagotl ayant été jugée trop sensible et peu précise est remplacé par un empennage à plan fixe et gouverne mobile de dimensions sensiblement augmentées. La compensation de la gouverne de direction est assurée de manière dynamique par un bec de grande surface situé en avant de l'articulation et statiquement par une masselotte portée au bout d'un tube lui-même fixé sur le longeron du  gouvernail. La voilure, directement dérivée de celle du prototype, est à présent équipée d'aérofreins Schempp-Hirth métalliques installés derrière les longerons des plans centraux. Afin d'améliorer le champ de vision du pilote et de diminuer la stabilité en roulis souvent jugée un peu trop positive, les ailes sont implantées en position médiane (Mittel-decker). La fixation de la voilure sur le fuselage se fait au niveau de l'emplanture par quatre ferrures (deux par aile), fixées sur les extrémités des longerons et des barres de traînée, traversées par des axes en acier respectivement verticaux et horizontaux. L'espace entre le fuselage et l'aile résultant de ce mode fixation est obturé par un capotage amovible en tôle mince qui fait le tour de l'intrados et de l'extrados.


Le dièdre en M et la flèche des parties extérieures des ailes rendaient très complexe la construction du longeron principal


L'ajustage des ferrures de fixation des ailes sur le fuselage


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Envergure : 17 m
Longueur : 7 m
Surface alaire : 19 m2
Allongement : 15.2
Profil : Göttingen 681
Masse à vide : 216 kg
Masse maximale : 350 kg
Charge alaire 18.4 kg/m2
Vitesse de décrochage : 60 km/h
Vitesse maximale : 220 km/h
Chute minimale : 0.65 m/s à 63 km/h
Finesse maximale : 26 à 80 km/h

Le prototype du Minimoa à aile médiane, immatriculé D-15-970, fit son premier vol le 9 juin 1936. Ce modèle rencontra un succès commercial très important puisque 110 exemplaires furent construits entre 1936 et 1940. Outre des innovations intéressantes telles que la verrière à grande visibilité, la roue structurale équipée d'un frein, les aérofreins à grande efficacité et des performances élevées pour l'époque, le Minimoa fut le premier planeur de grande performance à être produit de manière industrielle en grande série. 13 d'entre eux furent exportés en France, Suisse, Grande-Bretagne, Etats-Unis, Japon, Argentine et Afrique du Sud. En 1937, Hirth entreprit de construire une version biplace du Minimoa. Baptisée Gö 6 Minimoa 2a, elle recevait une voilure de Gö 3 implantée en position médiane sur un fuselage d'une silhouette proche de celle du monoplace. L'équipage, disposé de part et d'autre du centre de gravité, était protégé par une longue verrière dont les éléments avant et arrière étaient articulés sur le côté droit du fuselage; la partie centrale était quant à elle fixe. Le champ de vision du poste arrière étant quasiment nul vers le bas de petites fenêtres étaient découpées dans les flancs du fuselage sous la racine de l'aile. Par ailleurs et probablement pour des raisons de poids la roue structurale était supprimée et remplacée par  un long patin entoilé sur ses flancs. Les aérofreins étaient du type DFS et ne se déployaient qu'à l'extrados. Le prototype du Minimoa  2a, immatriculé D-15-923, effectua ses essais lors du concours de la Rhön 1937 où il fut piloté par Wolf Hirth et Richard Knoth. Trois semaines plus tard il fut convoyé par air depuis la Wasserkuppe jusqu'à Dunstable où l'équipage féminin Hanna Reitsch - Eva Schmidt participa au Championnat de vol à voile de Grande-Bretagne. Le prototype du Gö 6 fut vendu sur place et aucun autre appareil de ce type ne fut construit ultérieurement.


Le Gö 6 Minimoa 2 est l'unique exemplaire de la version biplace du Minimoa, il décolle ici au sandow sur les pentes de la Rhön

 La grande réputation qu'avait alors le Minimoa en tant que monoplace de performance fut porté au premier plan de la scène vélivole internationale lors de l'extraordinaire concours de la Rhön 1938. Sur la soixantaine de concurrents engagés 15 volaient sur Minimoa et 3 d'entre eux se classèrent dans les dix premières places. Le 30 juillet, 7 Minimoa effectuèrent des vols de distance de plus de 300 km. Le 4 août, Gunther Lemm et Walter Frick montèrent dans le cumulo-nimbus qui surplombait la Wasserkuppe. Sans oxygène ni instruments de VSV (les planeurs n'en étaient pas équipés à l'époque ce qui justifiait l'emploi d'un dièdre en M hyperstable), les pilotes montèrent respectivement à 4 980 m et 5 500 m battant par deux fois le record du Monde d'altitude détenu par Heini Dittmar depuis 1934. Le lendemain, 5 août 1938, la même situation météorologique régnant sur la Rhön les planeurs furent largués sous le cumulo-nimbus. 6 planeurs se brisèrent en vol dont deux Minimoa. Lemm, le recordman de la veille fut tué. Deux pilotes qui avaient pu s'éjecter mais avaient ouvert trop rapidement leurs parachutes furent entraînés à haute altitude par les courants ascendants. L'un d'entre eux périt asphyxié, l'autre redescendit avec de graves gelures. Cependant le capitaine Walter Drechsel qui avait réussi  à conserver le contrôle de son Minimoa malgré la pluie, la neige, la grêle, le givrage et la turbulence put, à la limite de l'évanouissement, atteindre l'altitude de 6 687 m établissant un nouveau record du Monde qui ne devait tenir que trois mois. En 1939 un Minimoa piloté par Erich Vergens se distingua à nouveau en battant avec 523 km le record de distance. Pour la première fois un planeur effectuait un vol de plus de 500 km.

Dans les pays où il avait été exporté le Minimoa fit également la preuve de sa classe en s'attribuant de nombreux records nationaux : aux USA, Lewis Baninger franchit 430 km ; en Afrique du Sud, Herman Winter parcourut 345 km  et monta à 3150 m ; en France, Eric Nessier s'attribua le record d'altitude avec 3400m tandis qu'en Grande-Bretagne, Philip Wills battait les records de distance et d'altitude de son pays avec 370km et 3300m devenant ainsi le troisième titulaire mondial de la Couronne d'Or. Mais c'est en 1940 que le Minimoa fut utilisé de la manière la plus surprenante: Philip Wills fut remorqué à haute altitude au-dessus de la Manche et, au plus fort de la Bataille d'Angleterre, se laissa tranquillement redescendre afin de servir de cible de calibrage aux radars britanniques qui purent ainsi étalonner leurs mesures sur un objectif lent et de faible réflectivité.

Après la guerre, un certain nombre de Minimoa furent capturés en Allemagne et utilisés en France notamment au Centre National de Pont Saint Vincent près de Nancy. En 1967, ils furent interdits de vol en raison du vieillissement des collages réalisés à l'urée-formol.


Le F-CABL de Pont Saint Vincent fait partie du lot de planeur récupérés en Allemagne au titre des dommages de guerre. Ce "Kriegs Gefangener" fut ensuite cédé au club de Saint Florentin. Interdit de vol par Véritas en raison des collages à l'urée-formol, il fut récupéré et restauré par des vélivoles allemands et vole de nouveau.

 


Aujourd'hui quelques Minimoa sont encore en état de vol en Suisse, en Allemagne et aux Etats-Unis. Considérés comme des pièces de collection, ils ne sortent pratiquement plus qu'à l'occasion des rencontres de planeurs anciens (oldtimer glider rallye).

 

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